24 mai 2008

Newroz et Nouvel An


Newroz et Nouvel An




A nouveau le cœur est en manque d'extase.
Sakî (1), apporte nous ton flacon !
Car le cœur désire le vin pourpre
Qui dans l’instant même le rassasie.

Sakî, si ton visage est comme la lune épanouie
Et si ta chevelure est noire comme la nuit,
Alors que ton vin soit du feu et brûle nos reins !
Et ce sera remède pour le cœur.

Ainsi tu ranimeras nos cœurs
Et enflammeras nos poitrines.
Celui qui boit le vin versé de tes mains
Peut courir cent étapes (2) sans s’arrêter.

Sans la lumière et le feu de l’amour,
Sans le Décorateur et le pouvoir du Créateur,
Nous ne pouvons atteindre l'Union.
(La Lumière est pour nous et la nuit est sombre) (2)

Ce feu qui masse et étrille le cœur,
Mon cœur l’appelle à grands cris.
Et voici le temps du Newroz et du Nouvel An,
Quand se lève cette lumière.

Tant que le vin rayonnant
Ne colorera pas ton tapis de prières,
Tu resteras loin de cette fille de roi
Au cou d’ivoire joyau unique.

Joyau ce cou de cristal,
Basilic sur roses en fleurs,
Hay hay tes boucles enchanteresses,
Séparées par ton grain de beauté !

Ton amour nous laisse démuni (3).
S’il te plait, que tes boucles dévoilent ton grain de beauté !
Tes cheveux tressés sont comme l’ambre
Et la Chine même leur paierait tribut.

Et pas seulement le Kurdistan,
Mais aussi Chiraz et Yang et Van,
Chacun de bon gré donnerait,
Et même Ispahan paierait tribut.

Yeux noirs arcs meurtriers,
Cercles et sphères emplies d’anges.
(Par son amour mon Age s’en est allé
Et l’Amour s’en est allé dans le tourbillon de la danse) (4)

Celles qui témoignent de la Beauté (5) sont parées de mille couleurs.
La danse et le semâ atteignent la perfection,
Aujourd’hui, Mollah (6), nous avons cent cœurs.
Viens Sakî, et apporte-nous ton flacon !

Melayê Cizîrî, le "Mollah de Djézîr" (1570 ? 1640 ?) , Dîwan, 26 ; trad. Sandrine Alexie.


(1) : Echanson.
(2) : Il s'agit bien sûr des étapes du voyage amoureux.
(3) : En arabe dans le texte : Nom du maqam de l'union amoureuse.
(4) : Littéralement "sans fils" comme Muhammad ; syn. d'infortune.
(5) : En arabe dans le texte.
(6) : Littéralement "Shahîd", voulant dire ici "Témoins de Beauté".
(7) : Le Mollah de Djézîr adore s'interpeller lui-même, surtout à la fin de ses poèmes, dans sa manière usuelle de signer.

18 mai 2008

Aider les Kurdes de Turquie : un devoir moral.

De tous temps les Kurdes, habitants de la Haute-Mésopotamie et descendants des anciens Mèdes, ont été victimes d’envahisseurs divers et repoussés dans les montagnes situées à l’Est de l’Anatolie. De tous temps, ils se sont révoltés et battus contre l’occupant pour jouir d’une certaine autonomie et pouvoir vivre leur culture et parler leur langue.

Mais en 1923, contrairement aux promesses faîtes par le traité de Sèvres en 1920, le traité de Lausanne consacrait la partition du Kurdistan en quatre parties (Turquie, Iran, Irak et Syrie). Les alliés de l’époque, Britanniques et Français, se rangent ainsi du côté de Mustapha Kemal, nouvel homme fort de la Turquie.

Il est à signaler que, par ce traité, la Grande-Bretagne obtient le mandat sur l’Irak arabe et la région kurde de Massoul, où le pétrole avait été découvert en 1879….

Depuis lors, les Kurdes ont systématiquement été opprimés par les 4 états nés du traité de Lausanne et ils ont été sans discontinuité soumis à des tentatives d’assimilations forcées.

Mais, c’est en Turquie que le problème est le plus grave, et cela pour plusieurs raisons :

-le plus grand nombre de Kurdes s’y trouve : environ 10 millions sur un total de 30.

-c’est en Turquie que Kemal Ataturk et ses successeurs, sur la base d’une organisation hyper centralisée de l’état turc, ont poussé le plus loin la pratique d’assimilation des Kurdes, désignés sous le nom de « Turcs des montagnes », dans le but de faire disparaître totalement la culture kurde. Actuellement, cela est illustré par la construction de barrages en Anatolie du Sud-Est, qui a terme, fera disparaître d’importants monuments historiques.

De nombreuses révoltes kurdes ont, depuis le départ, émaillé l’histoire du jeune état turc. Elles ont systématiquement été réprimées dans le sang. Mais, pire, après les coups d’état des militaires de 1970 et surtout de 1980, de très nombreux démocrates et intellectuels kurdes (4500) ont été assassinés. C’est la raison pour laquelle le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), crée en 1978, s’est lancé dans la guérilla en 1984.

En vue d’anéantir cette résistance, le gouvernement turc a soumis les régions kurdes à un état d’urgence avec des lois extrêmement répressives et, sur le plan militaire, a opéré une politique systématique de terre brûlée : 3000 villages ont ainsi été brûlés et rasés de la carte, leurs habitants étant parfois massacrés. Des millions de rescapés ont été, à cause de cela, poussés à la déportation dans les grandes villes du Kurdistan (notamment Dyarbakir) ou les grandes métropoles turques. Mais cette politique n’a pas réussi. Cela prouve bien que le problème kurde doit être réglé par la discussion et la voie diplomatique. La répression militaire ne peut faire taire un peuple qui demande seulement la reconnaissance de son identité.

La politique répressive de l’état turc à l’égard de sa minorité kurde présente bien d’autres aspects : ainsi le parti kurde légal, le DEP, est systématiquement interdit, ce qui le contraint à changer tous les ans de sigle : HADEP, DEHAP, et maintenant DTP. Cela est indigne d’une démocratie.

Et par ailleurs, l’état turc organise un sous-développement constant de ses provinces kurdes : aucun investissement industriel, des finances insuffisantes attribuées aux collectivités locales et aux services publiques (éducation, santé, etc.), une extraction des ressources naturelles (pétrole, eau, minerais..) dont les bénéfices ne sont pas redistribués aux populations locales, le tourisme quasiment rendu impossible depuis 1980. Ce sous-développement engendre un chômage très important et donc la misère d’une grande majorité des habitants de ces provinces.

En février 1999, le leader du PKK, Abdulah Oçalan était enlevé par les services secrets américains et israéliens à Nairobi, au Kenya, et aussitôt remis aux autorités turques.

Les autorités de l’Union Européennes ont laissé faire et étaient très vraisemblablement complices.

Les autorités turques s’empressèrent alors de faire un procès à Abdulah Oçalan, qui fut condamné à mort. Ce procès n’a pas été correctement mené. Abdulah Oçalan était ensuite emprisonné seul sur l’Ile d’Imrali, dans des conditions d’emprisonnement tout à fait contraires au droit international. En juillet 2002, sa condamnation à mort fut transformée en emprisonnement à vie, la Turquie menant alors des négociations pour entrer dans l’Union Européenne et devant, pour cela, donner des garanties quant au respect des Droits de l’Homme.

Mais, depuis mars 2007, nous apprenons qu’Abdulah Oçalan est victime d’empoisonnement par les autorités turques !

Cela a été publiquement dénoncé par les avocats d’Oçalan à Rome le 1er mars 2007, se basant pour cela sur des analyses toxicologiques faites par un laboratoire de renommée mondiale.

Comme les institutions européennes, alertées, ne réagissaient pas, les Kurdes ont décidé l’organisation d’une grève de la faim à Strasbourg. Cette grève de la faim a été suivie du 11 avril au 19 mai 2007 (soit 39 jours d’affilée !) par 55 Kurdes, 18 d’entre eux étant en grève de la faim totale.

Une manifestation géante de 30 000 personnes a appuyé cette action le samedi 12 mai à Strasbourg ; 103 000 pétitions ont été recueillies par le groupe GUE-GND du Parlement Européen pour soutenir cette action. De notre côté, nous avons rassemblé un comité de soutien de 7 associations et j’ai pu intervenir publiquement le 12 mai 2007.
L’action a payé : en effet, à l’issue de la grève de la faim, une délégation du Comité de Prévention de la Torture (CPT) du Conseil de l’Europe s’est rendue à Imrali et a rencontré M Abdulah Oçalan.

Pour sa part, l’association « les Amis du peuple kurde », soutenue par le Comité du Bas-Rhin du Mouvement de la Paix et son Président, Roger Strelbicki, poursuivra son action de soutien à la cause kurde et pour une reconnaissance de l’identité culturelle de ce peuple opprimé par la Turquie, la Syrie et l’Iran.



Bernard Revollon

Président des amis du peuple kurde



PS : Soutenir les Kurdes ne plait pas à tout le monde, puisque cela nous a valu l’envoi d’une lettre anonyme et raciste, agrémentée de la menace de nous faire brûler au four crématoire du Struthof !